Je les remets au vent
Mon fils, hier soir : "Papy et mamy ne s’aimaient pas, n’est-ce pas ?"
Et moi de le regarder avec des points d’interrogation plein les yeux : "Mais si, mes parents s’aimaient ! qu’est-ce qui te fait penser une telle chose ?"
"Mamy disait toujours un tas de trucs contre les hommes !"
Alors moi : "Mais c’était une boutade !"
Et de lui raconter ...
Tu sais, dans les années 60, le père était chef de famille, il ramenait la paie et à ce titre avait droit à moult égards, ma maman tenait la maison (très bien), repassait les chemises, préparait à manger (très bien et trop : ma sœur et moi on était énormes) (enfin surtout moi). Cette situation était normale, chacun avait son rôle et on ne remettait pas ces choses en question.
Mamy néanmoins souffrait de la dépendance financière qu’elle avait à son mari. A cette époque, la carte bleue n’existait pas, et Papy remettait une somme d’argent chaque semaine à Mamy pour faire les courses et il lui fallait faire avec .. heureusement que les parents de mon père étaient là, mon grand-père était menuisier, ma grand-mère teinturière, elle avait son commerce qui marchait bien et combien de fois elle a dépanné maman pour les courses, mes grands-parents avaient le cœur sur la main et pour ça, malgré des débuts houleux entre ma mère et sa belle-mère, la première n’a jamais oublié ce que la seconde a fait pour elle.
Puis il y a eu 68 qui a tout chamboulé. Pour commencer, Maman a passé son permis de conduire !!! bon, ce n’est pas pour autant qu’elle a pu conduire tout de suite, mon père n'avait sans doute pas assez confiance pour lui confier sa voiture, à moins que ça touchait à sa "virilité" ? ;-)
Bref.. petit à petit, maman a grignoté de l’autonomie, faisant ressortir alors sa nature Scorpion (clin d’œil à Reynald).
Il faut que je te précise qu'alors les femmes étaient considérées comme des "mineures" sous tutelle, même après 21 ans (âge légal de la majorité jusqu'en 1975). Elles n'avaient pas le droit de travailler si leur père ou leur époux s'y opposait. Si leur "tuteur mâle" leur accordait ce droit, pas question qu'elles puissent gérer les ressources financières qu'elles en retiraient : aucune banque ne leur ouvrait un compte à leur nom et prénom. Après 68, mon père a autorisé ma mère à s'ouvrir un compte mais je me rappelle que son chéquier était au nom de Madame (nom et prénom de mon père).
Mai 68 a entraîné une certaine libération des femmes. Dans les années 1970, maman a commencé à prendre la pilule (contraceptive), c’était une merveille qu’on ne peut même pas imaginer aujourd’hui !!!
Bref, tout cela pour te dire qu’à cette période, Mamy a commencé à dire et à faire des choses qu’elle ne s’était jamais autorisées à dire et faire avant, donnant aux conversations de nos réunions de famille des allures d’affrontements, même si dans la réalité cela ne changeait rien : maman continuait à faire le ménage, repasser les chemises et papa à travailler à l’extérieur. Ils s’aimaient, ça c’est sûr, même s’ils ne se parlaient pas (ça ne se faisait pas à cette époque).
Lettre à mon mari que j’aime
Pour la première fois depuis ta disparition, je range ton petit coin de chambre et je pleure. Tu me manques terriblement et je ne t’ai pas assez dit combien je t’aimais. Chaque coin de cette maison déserte me rappelle ta présence. C’est vrai que la vie de celui qui reste est un enfer. Je te parle et j’espère que tu m’entends.
Tu me disais un soir <j’ai peur> je t’ai tenu dans mes bras toute la nuit en te disant, tant que je suis là tu n’as rien à craindre. Nous étions trempés tous les deux tant tu transpirais. Nous n’avions pas la parole facile et je regrette terriblement de n’avoir pas été à tes côtés en ces derniers instants. Tes yeux ce soir-là le 24/9 à 21h me disaient tu ne me reverras pas.
Depuis le 25/9 je suis bloquée, enfermée dans ma carapace. J’étouffe et ma gorge se noue par des nœuds. Pourquoi ? pour être brave devant mes enfants, Nadège m’a beaucoup aidée, je ne sais pas si elle en est consciente mais je le pense.
Aujourd’hui je ne suis pas bien car je range un peu et je découvre que tu avais conscience que tu ne reviendrais pas. Tous les petits papiers que je trouve me le disent.
Avons-nous assez parlé ?
C’est trop tard et je suis seule.
Voilà Maman, tu n’es plus bloquée. Tu m’as laissé ce mot, intentionnellement ou non, comme toutes les autres lettres "que tu voulais que je prenne après ta mort", pour que je te libère de ce poids qui t’étouffe.
Tes mots, Maman, c’est toute la tendresse de notre passé, tout l'amour qu'on ne s'est pas dit.
Tes mots, Maman, je les remets au vent.