En ce moment, je m’interroge beaucoup sur la pérennité des couples. Ceux qui durent, ceux qui ne durent pas, comment, pourquoi, est-ce mieux, moins bien ?
Je me rappelle lorsque je me suis mariée il y a bientôt trente-huit ans, pour moi c’était pour la vie. Ça ne me faisait pas peur, je ne trouvais pas ça indécent, je ne partageais pas toutes les réflexions épouvantables qu’on peut entendre au sujet du mariage même si, il faut bien le reconnaître, quelque chose dans notre tête change du tout au tout dès lors qu’on se marie. On se sent, comment dire : ancré. Protégé. Choisi, aussi. En tout cas au début. Ce n’est qu’après qu’on utilise des termes comme "enfermé", "piégé". Au début c’est très beau. Toutes les choses que l’on ressent sont très belles. C’est une miscellanée de douceurs.
Au bout de treize ans de vie commune nous avons décidé de nous séparer. Je trouve qu’on a eu beaucoup de chance d’avoir pu formuler le même désir au même moment. On en avait beaucoup parlé. Bon faut dire qu’avec lui on parlait beaucoup de tout. Enfin .. il parlait beaucoup de tout.
Nous étions très jeunes (31 ans). A aucun moment nous ne nous sommes déchirés, c’est ça le truc. C’est venu bien après, mais tout le temps qu’on a vécu ensemble, nous vivions dans une harmonie parfaite. Il faut dire que pour vivre en guerre avec moi il faut vraiment le vouloir. C’est pas pour dire, mais je suis une crème. Je hais le conflit. Enfin ce n’est même pas que je le hais, je ne le supporte pas, c’est viscéral. Et puis j’étais très docile, j’avais été très bien dressée par mon papa : quand l’homme parlait, je me taisais. Or j’avais un homme qui parlait tout le temps. Je n’étais sans doute pas "heureuse" tel qu’on conçoit aujourd’hui qu’une femme doit être heureuse dans son couple, mais j’étais heureuse grâce à un tas d’autres choses comme par exemple tout ce que cet homme extraordinairement ouvert m’a permis de découvrir, ou encore notre logement qui ne désemplissait jamais (dans ma famille quand on se marie on se range des voitures et basta – mes parents n’avaient pas d’amis), et puis une légèreté dans la manière d’accueillir la vie, une insouciance que malgré ma jeunesse je n’avais jamais connue, et pour cause, bosse, bosse, c’est tout ce qui compte dans la vie, on n’est pas là pour rigoler.
Le problème avec cette merveilleuse légèreté, c’est qu’elle est complètement incompatible avec le fait d’être parent. Quelques menus soucis avaient donc commencé à apparaître avec la naissance surtout de la deuxième. Ne plus pouvoir vivre d’amour et d’eau fraîche avait pris tout son sens. C’est pas grave, en plus des cours particuliers que je donnais déjà je me suis mise à faire des ménages, puis des extras dans un café comme serveuse et les marchés deux fois par semaine. Et roule ma poule. Le pire de tout c’est que je ne trouvais même pas ça choquant de faire bouillir la marmite pendant que mon mari "s’épanouissait" en manageant un groupe rock, activité qui engloutissait tout ce que je ramenais à la maison.
Mais bref. Juste pour dire que voilà, cette union vécue dans la légèreté s’est délitée dans la légèreté. Encore qu’elle aurait peut-être pu continuer longtemps comme ça, mais notre besoin sans cesse renouvelé de vivre quelque chose de fort nous a sauvés : quand on s’est aperçus qu’on s’ennuyait, on s’est dit : on arrête.
La séparation est restée virtuelle quelques mois, la grande précarité dans laquelle nous vivions – et par conséquent dans laquelle il m’a laissée avec les filles – ne permettant pas que l’un ou l’autre puisse déménager. Nous avions donc repris d’un commun accord notre liberté, liberté sur laquelle, entre parenthèses, il avait déjà de l’avance, mais ça non plus c’était pas grave, il sollicitait mes conseils pour draguer et je les lui donnais sans ombrage, c’est vous dire si l’ambiance était conviviale.
Puis un jour je me suis dit comme ça, ya pas de raison.. et moi alors ? Ca ne lui a pas plu. Il est retourné chez sa mère.
Du coup, mon père m’a fait la tête. Ben oui, il m'en a voulu quand j’ai décidé de me marier, et il m'en a voulu aussi quand j’ai décidé de divorcer. Chez nous on ne divorce pas. C’est vrai que c’était une croyance plutôt répandue. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, et c’est d’ailleurs une des questions que je me pose : ne divorce-t-on pas "trop facilement" ? Je ne parle évidemment pas des cas où il n’y a pas d’autre alternative que de prendre ses jambes à son cou. Mais d’une manière générale, ne pense-t-on pas aujourd’hui au divorce comme solution avant même d’avoir réfléchi aux autres possibilités ?
Il n’y a pas si longtemps, être un couple c’était être capable de surmonter, d’accepter les différences, de "faire des concessions". Aujourd'hui les concessions, yen a surtout dans les cimetières. Il faut d’abord penser à soi et à son épanouissement personnel. Pour le coup, mon ex était un précurseur.
Seulement voilà, comment concilier amour et autonomie ? comment doser subtilement le "je" et le "nous", et jusqu’où ? Comment concilier le désir d’être regardé suffisamment pour sentir l’attachement indéfectible de l’autre et en même temps le tenir à distance d’un jardin privé supposé garantir l’autonomie ?
Une autre chose aussi sur laquelle je m’interroge concerne le supposé pouvoir que le conjoint aurait sur l’autre, la manipulation dans le couple, etc. A partir de quel moment peut-on parler de manipulation, voire de perversion ?
Je vais vous dire un truc : nous les filles dans nos relations avec les hommes je suis sûre qu’on a manipulé plus d’une fois, peut-être pas consciemment, mais on l’a fait, c’est sûr. En tout cas, moi j’affirme l’avoir fait ! Pourquoi croyez-vous qu’on dise : "Ce que femme veut, Dieu le veut" ?