Avant qu'elle parte
Il y a une chanson que mon fils écoute et que j’aime beaucoup, il s’agit de "Avant qu’elle parte".
Avant qu’elle parte, dis à ta mère que tu l’aimes.
Dis à ta mère que tu l’aimes. C’est quelque chose que je n’ai pas fait assez, ou plutôt que j'ai fait, mais mal.
Je pense à elle, je la revois sur son lit d’hôpital, je me rappelle le moment où ma sœur était sortie de la chambre pour aller boire un café et que j’étais restée près d’elle en lui serrant la main, cette main qu’elle avait si petite et si fine. Aujourd’hui, quand je pense à elle, je vois ses mains de petite fille. Et surtout, je vois son chagrin. Celui d’avoir eu un fils qui n’était pas le fils qu’elle avait tant espéré. Ca l'a minée de l’intérieur, lentement, occultant tout le reste.
Mais moi à ce moment-là je ne pensais pas à ça. Je voulais seulement qu’elle me parle. Je ne voyais pas sa souffrance, je ne voyais pas sa détresse. Je ne voyais que les mots qu’elle ne me disait pas.
Et je lui en voulais.
Maman est tombée dans le coma le jour de naissance de sa propre mère. Elle est morte deux jours après. Et je n'avais pas réussi à lui demander pardon.
Et puis il y a eu les lettres. Les lettres qu’elle a écrites à mon père lorsque, comme tant d’autres jeunes gens, il est parti en Algérie. A ce moment-là, Maman était enceinte de ma sœur.
Et c’est seulement là, au milieu des mots qu'elle égrenait pour lui, que j’ai senti sa peur, la terreur ronde qu'elle avait que l'histoire se répète, qu'elle aussi comme sa mère et sa grand-mère perde l’homme qu’elle aimait et se retrouve seule avec ses filles. Cette peur de perdre ne l'a jamais quittée.
Je n'arrive pas à savoir si aujourd'hui, je lui ai pardonné. Par contre ce dont je suis sûre, c'est que je regrette de ne pas lui avoir donné plus. Plus de chaleur, plus de tendresse, plus de temps. Je la voyais trop comme la jeune maman qu'elle avait été. Je ne la voyais pas comme la femme fragile qu'elle était devenue. Paradoxalement je me demande si cela aurait été possible puisque nous étions tellement fermées, elle sur ces choses qu'elle ne disait pas et moi sur ces choses que je disais trop.
Il y a un temps pour le silence, et c'est ce que sa mort m'a appris.