C'est trop bien !
On a beaucoup parlé du coucher de Louis XIV et fort peu de celui de l’enfant. C’est regrettable. Parce que franchement, le coucher de Louis XIV, on s’en tape royalement. Tandis que le coucher de l’enfant est une source inépuisable d’exercices de patience et de zénitude. Surtout quand il y en a trois.
Voyez plutôt.
Vos petits-fils ont grandi. L’aîné a même dépassé l’âge de raison. Vous vous croyez en droit d’attendre qu’ils se comportent comme des grands au moment où ils sont censés se laver les dents pendant que vous réinstallez leur matelas dans votre chambre (matelas que vous enlevez tous les matins car il prend toute la place).
Las ! une fois encore, la réalité est bien amère. Car l’enfant ne connaît pas de répit. Certes, deux d’entre eux sont bien en train de se brosser les dents (et vous n'allez tout de même pas chipoter parce qu’ils crachent sur le miroir au lieu de cracher dans le lavabo). Mais le cadet, le plus coquet des petits garçons qu’il vous ait été donné de connaître, vient de s’apercevoir qu’il s’était décoiffé en passant sa veste de pyjama par-dessus sa tête. Il se met donc en demeure de vider sur son crâne le tube de gel coiffant, ce même gel que vous retrouverez absolument partout, sur les peignes, sur le tabouret de la salle de bain, sur les poignées de porte et même sur votre propre brosse à dents (?). Ca collera partout, une horreur ! mais bref, vous ne le savez pas encore, chère innocente, puisque vous êtes en train de refaire le lit, quand, relevant les yeux, vous voyez votre cher petit-fils avec des cheveux dressés tout autour de la tête comme s’il avait été électrocuté. Après un moment d’attendrissement bien compréhensible (coiffé ainsi, on dirait vous !) la colère vous prend à l’idée que cette pâte visqueuse puisse imprégner le drap fleurant bon la lavande avec lequel vous vous êtes donné tant de mal à enrober le matelas, et vous vous écriez avec toute la merveilleuse autorité dont vous êtes capable : "Va m’enlever ça tout de suite !".
A partir de ce moment commence une scène d’un suspens inouï, puisqu’il s’agit de savoir qui, de l’enfant ou de la mère-grand, va céder le premier, pendant que les deux autres garçons, les dents étincelantes, viennent d’entreprendre la redécoration intégrale de la salle de bains à grand renfort de shampoing et de dentifrice.
Certains de mes lecteurs, à coup sûr, seront outrés et révoltés de l’insupportable violence de cette description : vous faites la fine bouche alors que vous avez la chance rare d’avoir deux petits-fils artistes (ils ont intégralement repeint la glace avec le dentifrice à la fraise), et un troisième qui est en passe de devenir le plus grand des fashion-addict. Vous ne pouvez néanmoins vous résoudre à suivre à la trace votre coquet cadet et tentez un compromis risqué : "si tu me laisses te rincer la tête je te raconte une belle histoire !".
"d’accord !" rétorque votre loustic devant vos yeux interloqués qu’il ait cédé aussi rapidement (vous craignez le pire).
Et voilà vos trois têtes blondes alignées en rang d’oignons sur le lit, dont une a maintenant les cheveux qui dégoulinent sur votre couette. L'émotion vous étreint devant tant d'innocence, alors qu'ils lèvent vers vous leur petit visage angélique.
Vous cherchez donc quelle belle histoire pourrait plonger les chers petits dans de beaux rêves lorsque Petit-Fils aux Cheveux Mouillés s’écrie : "L’his-toire de Jeanne-d‘Arc ! l’his-toire de Jeanne-d’Arc !!!!!!!"
(vous) ??????
(son frère aîné) oh ouiiiiiiii Mamy, l’histoire de Jeanne d’Arc !!!!! elle s’est fait brûler, c’est trop bien !