Je vous ai souvent parlé de mon père. Dans ma famille, il était ce qu’on appelait "un bon père" : il avait une conscience aigüe de ses responsabilités de chef de famille, il était généreux - pas de ses sous, c’était plutôt le contraire, il calculait toujours tout au centime près, fille ou pas fille ! - non, il était généreux de lui, de se donner, lui.
J’ai déjà évoqué les scènes dont ma sœur et moi avons souffert toute notre enfance, jusqu’à mes 14 ans en fait, âge où je suis entrée à l’Ecole Normale en pensionnat. Ma sœur qui en avait 12 s’est retrouvée seule face à lui à ce moment-là, elle a alors fait un deal avec notre père, elle vous en parlera si ça lui chante.
Pour mon père, ses enfants étaient toute sa vie.
Il voulait se marier (il vouait une adoration peu commune à ma mère), il voulait avoir des enfants, beaucoup d’enfants, comme son propre père d’ailleurs et son grand-père avant lui. Maman, elle, voulait un fils.
Juste un fils.
Avant notre naissance, Papa avait dévoré tous les bouquins possibles sur l’éducation. Enfin, ce qui se disait à l’époque d’une éducation réussie. Il avait aussi appris la manière de prendre soin d’un bébé. J’ai des souvenirs de nous toutes petites et c’est notre père qui faisait notre toilette.
Déjà, il faut savoir que mon père n’était pas désiré. Je pense (ça n’engage que moi) qu’un petit foetus dans le ventre de sa maman sent ces choses-là. Surtout quand on le secoue comme un malade ou qu’on vient le triturer à coup de dieu sait quoi pour qu’il déguerpisse.
La blessure de rejet était profonde. Ça ne s’est pas arrangé par la suite, puisque lorsqu’il s’est pointé malgré tous les efforts de sa mère pour le faire disparaître, un grand frère de 8 ans était déjà dans la place, adulé de tous, et particulièrement des parents chti de mon grand-père chti. Je précise ça parce que, rhm, mais non mais non ils n’étaient pas peu fiers d’être de chnord .. (mon oncle est né là-bas, alors que mon père est né en région parisienne, mes grands-parents au début ne vivant pas ensemble (je vous l'ai raconté ici)).
Bref ! pour ma famille paternelle mon oncle était l'indétrônable porteur du précieux nom familial, mon cadet de père ne servait donc à rien (ironie du sort : mon oncle n'a pas eu d'enfants .. ;-))
Papa ne m’a jamais fait de confidences mais j’ai su par des cousins très proches quel genre d’adolescent il était. Les qualificatifs qui reviennent sont : studieux, fiable, solitaire. Sa cousine le considérait comme un grand frère sur lequel elle pouvait toujours s'appuyer.
A ma sœur et moi, notre père a appris que les choses ne doivent pas être faites, elles doivent être bien faites. Que ce qui est commencé doit toujours être fini. Qu’on ne peut compter que sur soi et ne jamais rien devoir à personne..
Et que tout finit toujours par s'arranger .. ;-) (voir ici si vous voulez)
Bref, pour revenir à cette "générosité" dont je parlais plus haut, tous les soirs que Dieu faisait, mon père après sa journée de travail "s’occupait" de ses filles. Il ne se détendait pas devant la télé, il ne profitait pas de la présence de sa compagne (qu’il aimait pourtant profondément), il "s’occupait" de ses filles. En fait, il corrigeait nos devoirs d’école. Très vite, l’expression consacrée est devenue : il nous "corrige"..
Il voulait nous donner ce qui lui paraissait le plus précieux, ce dont il avait le plus manqué : du temps, son temps.
C’est donc du temps qu’il nous a donné, à sa façon, avec ses moyens. Il voulait aussi nous donner de l’instruction car c’est ce qui l’a sauvé. Sur moi, l’aînée, la pression était terrible. Par chance, j’ai toujours adoré apprendre !
Ma sœur était, comment dire, plus distante peut-être, différente assurément, il avait moins de prise sur elle.
Mais bref, il a passé avec nous toutes ses soirées pendant douze ans .. On s’en serait passé, mais lui aussi sûrement, non ?
Il y a quelques jours, je suis tombée sur son carnet de poèmes, des poèmes qu’il écrivait lorsqu’il avait 17 ans.
Je vous en propose un :
Pourquoi pleures-tu, mon âme ?
Dis-moi quel est ce dictame
Qui me fait venir les larmes aux yeux
Dis-moi, est-ce le hasard miséricordieux ?
Est-ce la haine de la mort ?
Est-ce l’amour qui est en tort ?
Pourquoi ces songes obscurs ?
Pourquoi toutes ces ordures
Qui viennent souiller mon esprit ?
De quelle erreur est-ce le prix ?
Pourquoi toutes ces calamités
Pourquoi, pourquoi vivre
Dans cette vie, idiote et ivre
De faire mal, de nuire à l’homme.