Un peu à l’écart dans l’un des jardins de l’ashram, j’ai décidé de m’asseoir pour méditer une heure. Malheureusement, j’avais oublié ce qui sort au crépuscule, en Inde : les moustiques. Je n’étais pas plus tôt installée, dans ce beau crépuscule, que je les ai entendus rappliquer, avant de les sentir frôler mon visage, se poser - dans un assaut groupé - sur ma tête, mes chevilles, mes bras, et me piquer férocement. Aussi ai-je pris une décision - et si, au lieu d’écraser les moustiques et de ronchonner, je restais assise et supportais l’inconfort ? C’est donc ce que j’ai fait. Immobile, je me suis observée devenir la proie des moustiques. Au début, les démangeaisons me rendaient folle, mais finalement, cela s’est transformé en une sensation diffuse de brûlure et je me suis laissée porter par cette chaleur jusqu’à atteindre une douce euphorie. J’ai accepté d’isoler la douleur de ses associations spécifiques pour la laisser devenir une sensation pure - ni bonne ni mauvaise.
Quand tout a été terminé, j’ai regardé l’étendue des dégâts. J’ai dénombré une vingtaine de piqûres de moustiques. Mais en l’espace d’une demi-heure, les cloques s’étaient résorbées. Elles avaient disparu.
Finalement, tout finit par disparaître.
E. Gilbert, "Mange, prie, aime."