Ondoyés par des esclaves
Lorsque j’étais jeune, j’étais ce qu’on appelle une bab cool. On peut se demander comment une petite nana comme moi, super bien dressée par son papa et rangée des voitures (interne à l’EN depuis l’âge de 14 ans dans la plus stricte discipline), a bien pu virer sa cutie.
Eh bien tout a commencé par la rencontre d’un Normalien, qu’un jour par extraordinaire une sortie avait été organisée entre les filles et les garçons, exception s’il en fut car notre directrice voyait en la mâlitude le diable personnifié.
Or ce garçon, outre des cheveux longs qui déparait considérablement dans le décor, s’adonnait au fumage de pétards et autres joyeusetés autrement plus tentantes que les épinards immondes qu’on nous servait à la cantine. On était censés ce jour-là faire un jeu de piste ou autre truc tout aussi passionnant, et je me rappelle que, rébellion suprême, on s’était assis tous les deux dans un coin de forêt, lui avec son regard comme une voûte céleste nocturne (il avait les yeux noirs) penchée vers le mien plein de curiosité. Ses beaux cils battaient au-dessus de notre rencontre, comme lentement ondoyés par des esclaves.
A y est.
J’étais sous le charme.
Il me parla de Timothy Leary, et c’est de ce jour que je commençais à griffonner "Turn on, tune in, drop out" un peu partout sur mes cahiers, même si je n’en saisissais pas totalement le sens.
Puis le rabat-oij de prof nous était tombé dessus en prétendant qu’il nous cherchait depuis des heures, que ça allait nous coûter la sortie du week-end au lieu qu’on rentre dans nos home, mais ça y était, j’étais comme qui dirait transformée et la bave de crapaud du prof n’atteignait pas la juvénile colombe que j’étais encore.
Puis il y avait eu le récit écrit par un journaliste au sujet d’une jeune droguée qui avait côtoyé Gabrielle Russier aux Baumettes. Dans la foulée j’avais aussi lu tout Gabrielle Russier et j’avais été toute étonnée de découvrir un monde où on pouvait aimer hors des chemins battus.
Pour fêter ça j’avais décidé de modifier mon apparence. Vestimentaire, d’abord : j’avais troqué les jupes bleu-marine/chemisier blanc contre le "bén patte d’éph" en bas desquels je cousais avec application, la langue dépliée jusque par terre, des OM en coton coloré (c’est la seule fois de ma vie où j’ai fait de la couture, faut pas rêver quand même !).
Capillaire ensuite : un jour de pétage de plombs comme ça ne m’arrive absolument jamais je m’étais coupé les cheveux rageusement à coups de ciseaux, cheveux que j’avais jusqu’alors très longs. Quand j’ai vu ma tête après, j’ai compris que c’était la pire idée que j’avais jamais eue, mais c’était trop tard, je ne ressemblais plus à rien (ça n'a pas changé depuis).
Le plus bizarre en fait, c’est que je m’étais mise à fréquenter des babs mais que je ne touchais pas à la drogue. J’avais, une fois, une seule, testé le shilom (Baum Shankar). Pas de cieux qui s’ouvrent ni de paradis psychédélique. J’ai compris depuis qu’en fait, il était inutile de chercher à modifier un état dans lequel je suis naturellement.
Donc, mes fréquentations changèrent. Un monde nouveau s’offrait à moi. En la personne d’amis vivant en communauté, tous adeptes de M*******.
Le concept était super chouette : détox, bien-êtrox et partageox.
Tout le monde mangeait ensemble, au son de la cloche qui finissait de tintinnabuler pour que toute la clique se radine en prononçant des Om concentrés.
Tout le monde s’aimait et aimait tout le monde (surtout les petits amis des autres).
Bref, c’était super chouette. Y avait même un Nirvanox de promis. Sauf que personne n’a eu le temps de le trouver, la communauté ayant splitté avant.
Vous allez me dire, bien sûr c’est facile de critiquer comme ça, t’étais même pas dedans. C’est vrai, j’étais pas dedans. C’est justement pour ça que j’ai vu. J’ai vu qu’il n’y avait plus rien à voir, car sur la fin, faut bien le dire, la communauté brillait surtout par son absence de communautaires, Machin s’étant tiré avec Trucque enceinte de Bidule resté tout seul à mâcher son tofu.
De ce jour, j’ai continué à porter des robes à fleur et des sabots, mais j’ai laissé tomber toute velléité de partageox.
La vie est bien trop courte pour se la compliquer, pas vrai ?