brave au combat
Au IVe siècle, nos ancêtres les Gallo-Romains voient une horde de guerriers blonds à la nuque rasée et aux cheveux ramenés sur le sommet du crâne s'abattre sur la Gaule et ravager tout sur leur passage. Ce sont des Francs, que les Romains, histoire de les faire tenir tranquilles cinq minutes, tentent de prendre comme auxiliaires dans leurs légions. Faut dire que les Francs sont des guerriers dans l'âme, ou plutôt dans l'arme dont ils ne se séparent jamais, même après la mort.. ils y mettent tout leur art et toute leur richesse, et d'ailleurs, ils sont redoutables au combat : ils excellent à faire tournoyer leur bouclier, à lancer leur hache (ils ne manquent jamais leur but), et s'ils accompagnent d'un bond le vol de leur lance, ils tombent avant elle sur leur ennemi ! La mort peut les abattre, la crainte, jamais !
Seulement voilà : question discipline, ils sont encore pires que les Gaulois, et ne mettent pas long feu à n'en faire qu'à leur tête. Leur tempérament batailleur et leur farouche esprit d'indépendance empêchent longtemps ces tribus éparses de s'unir pour former une nation. Plus souvent ennemis qu'amis, contre les Romains que pour, leurs divisions ne prennent fin que le jour où le roi d'une charmante petite tribu de Francs saliens subjugue tous ses voisins : Clovis, plus exactement Chlodweg, ce qui dans leur patois signifie "brave au combat".
Lorsque son père Childéric meurt en 481, Clovis n'a que quinze ans et hérite d'un minuscule domaine de rien du tout autour de Tournai (au nord-est, c'est-à-dire en Belgique actuelle). Rien encore ne laisse présager qu'en trente ans, à force de guerre, de diplomatie et de deux ou trois crimes, il en fera un royaume bien plus grand que la France d'aujourd'hui.
Mais nous n'en sommes pas là. Pour l'instant Clovis est un barbare païen qui cherche rien qu'à embêter son voisin, en l'occurence Syagrius, un Gallo-Romain qui règne sur le domaine situé au sud du petit royaume franc. En trois coups de cuiller à pot, Syagrius est égorgé et tous ses biens et les églises pillés. Le butin est rassemblé à Soissons en attendant d'être distribué à l'ensemble des militaires. Chez les Francs, on se partage tout à parts égales, qu'on soit chef ou simple soldat, chacune des parts étant tirée au sort, y compris celle du roi. Or, Clovis espère récupérer un magnifique vase d'argent, très lourd et d'une grande beauté, provenant d'une des églises dévastées, que le partage ne lui a pas attribué.. il le demande au soldat qui l'a reçu, mais ce dernier refuse et, pour bien montrer sa détermination, cabosse le vase avec sa hache. Clovis fait celui qui s'en fiche, mais l'année suivante, en passant ses troupes en revue, il tombe nez à nez avec l'homme qui a refusé sa requête.
"Personne n'a d'armes aussi mal tenues que les tiennes !! " prétend Clovis, "ta framée, ton épée, ta francisque, rien ne vaut !!"
Et saisissant la francisque de l'homme, il la jette à terre. Le soldat se baisse pour la ramasser, alors le roi lève sa hache et VLAFFFFFF!!!!! il la lui plante dans le crâne, en prononçant ces mots célèbres qui ont traversé les siècles : "ainsi en as-tu fait du vase de Soissons !".
On voit tout de suite dans ce geste spectaculaire le signe que Clovis est prédestiné à tourner le dos à la barbarie païenne pour embrasser l'humanisme chrétien qui dit oeil pour oeil, dent pour dent !
En attendant, la victoire de Soissons le rend maître de toute la Gaule du Nord. "C'est bien bête d'être tout seul à profiter de tout ça", se dit-il en poussant un gros soupir (surtout qu'il a hérité de son père un penchant quelque peu excessif pour la gent féminine) (Childéric avait la fâcheuse manie de s'approprier les femmes qui étaient à son goût - or, elles y étaient toutes - ce qui contrariait très légèrement les pères et les maris ..).
Bref. Clovis se met en quête d'une épouse, et la trouve en la personne de Clothilde, une princesse catholique de très bonne famille (bon OK, l'oncle qui l'a élevée avait zigouillé toute la famille pour rester seul maître à bord - c'est pas des choses qui arriveraient de nos jours ..) oui et donc, Clothilde, en plus d'être de sang royal, était d'une très grande beauté (ya vraiment pas de justice en ce bas monde).
Désireux de lui montrer qu'il y est fort sensible, Clovis la couvre de caresses et l'envoie direct au paradis. Du coup, Clothilde veut lui en faire connaître un autre et décide de le convertir au catholicisme.
C'est pas gagné : Clovis se prend déjà pour Dieu, vu que les Francs sont persuadés que leurs rois en sont (des Dieux). Et la preuve indiscutable en est leurs longs cheveux blonds (c'est bien simple, pour se débarrasser d'un Franc, il suffisait de lui raser la tête : il se trucidait sur le champ tellement il était traumatisé de plus avoir ses cheveux).
D'ailleurs, quand le grand-père de Clovis, Mérovée (qui a donné son nom à la dynastie mérovingienne), est venu aux Champs Catalauniques donner un coup de main à Aetius pour écraser les Huns, on devait voir de loin sa belle chevelure dense et bouclée volant au vent.
Enfin bref.
Clovis est donc pas fou de joie à l'idée d'embrasser la religion de sa femme, surtout qu'il a quand même d'autres chats à fouetter, en l'occurence ses cousins germains les Alamans, une bande de pillards qui vient d'envahir la plaine d'Alsace. Sans leur laisser le temps d'avancer à l'intérieur des terres, Clovis se rue sur eux avec tous ses Francs. Seulement voilà, les propos de Clothilde l'ont tellement contrarié qu'il n'est pas du tout à ce qu'il fait.. bilan, ce qui devait arriver arrive : l'avantage tourne en faveur des Alamans. C'est là que Clovis a une idée de génie : il s'écrie : " Ho Clothildas Gott !!" (en franc dans le texte)"wenn du mir gibt das Sieg, werde ich ein Christlich geworden !!" (oh Dieu de Clothilde ! si tu me donnes la victoire, je me ferai Chrétien !)
Dieu répond : " Tope-là, mon pote !"
Aussitôt, chambardement de situation : les Alamans sont rétamés en moins que rien. Cela se passait à Tolbiac, et l'écho de cette victoire résonne encore dans le XIIIe arrondissement de Paris ..
C'est comme ça que Clovis devient le premier roi en Gaule à se convertir au christianisme. Le 25 décembre 496, au cours d'une fête à grand spectacle qui se déroule à Reims, où toute la ville et la cathédrale sont décorées pour l'occasion, le roi, paré de sa seule nudité, entre dans la piscine du baptême où il est immergé, pendant que Saint Rémi lui dit : "Mitis depona colla, Sicamber !" (qu'on a traduit par "Courbe la tête, Sicambre *!"alors qu'en vrai ça veut dire : " Dépose tes colliers, Sicambre" (autrement dit : "ne fais plus confiance à tes amulettes de païen")).
Dans la foulée Clovis y colle sa soeur Aldoflèda et des milliers de ses soldats dans une fabuleuse joute nautique dont s'inspirera Guy Lux pour ses jeux d'interville.
A partir de là, son triomphe n'a plus de fin : les Burgondes, les Wisigoths, bref, tous ceux qui tombent sous sa framée - ce qui fait de lui le premier roi catholique romain à dominer un territoire qui s'étend de Cologne jusqu'au Golfe de Gascogne.
En 508, Clovis décide, après Tournai et Soissons, de fixer sa capitale à Paris**, influencé par Sainte Geneviève avec qui il est copain comme cochon, vu qu'elle a super la côte auprès des Parisii depuis qu'elle a suggéré aux Huns par la force qui est en elle d'aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte.
En 511, Clovis qui n'a que 45 ans, s'éteint, épuisé mais heureux. Il laisse un immense royaume à ses quatre fils qui vont s'entretuer se le partager, secondés par deux reines d'enfer : Frédégonde et Brunehaut.
Mais ceci est une autre histoire ...
* comme chez les Gaulois, il y a plusieurs tribus de Francs : les Chamaves, les Chattes, les Ansivariens, les Bructères, les Chérusques, les Angrivariens, les Hattuaires, les Tubantes, les Tenctères, les Usipètes, les Sicambres ..
** Le royaume mérovingien conservera Paris comme "principale" capitale jusqu'à la fin du règne de Dagobert : avec la décadence du pouvoir des derniers rois mérovingiens, Paris perdra ensuite de son importance (sous les Carolingiens, la capitale deviendra Aix-la-Chapelle en Allemagne).