délivrance
Il est possible de détruire quelqu’un avec des mots, avec des regards, avec des sous-entendus. Il est possible de détruire quelqu’un en lui faisant croire qu’on l’aime. Il suffit de le dénigrer de manière permanente, de l’humilier, y compris devant les proches, par des remarques incessantes et d‘autant plus perverses qu‘elles ne seront perçues que comme d‘affectueuses boutades, de tendres moqueries. Le tout dissimulé derrière des conduites affectives qui tentent à nous désorienter totalement. Comment se méfier en effet d’un homme qui vous assène des taquineries qui semblent sans importance, mais qui vous assure du matin au soir qu’il ne peut pas vivre sans vous ? qui instaure progressivement autour de vous un isolement total, vous coupant peu à peu de vos amis, des membres de votre famille qui ne pensent pas comme lui ? Isolement subtil qui fait de vous la coupable, puisqu'il vous fait croire que c’est vous qui le contraignez à agir ainsi, que c’est "pour votre bien" . Est-il dans le déni ? est-il pervers ? comment savoir ? Toujours est-il que ce déni paralyse la victime, comme sont paralysés les enfants battus puisqu’on leur fait croire que la violence n’existe pas. La violence, en effet, est une perception de la réalité. Or quoi de plus facile que de persuader une femme, amoureuse de surcroît - je rappelle que l’amour rend complètement stupide, en tout cas au début, et qu’on va jusqu’à aimer les petits travers de l’autre sur lesquels on s’attendrit benoîtement - quoi de plus facile, disais je, que de faire croire que sa perception des événements est erronée ? Il suffit de nier purement et simplement que les faits aient eu lieu, de convaincre la personne qu’elle a dit et fait ce qu’elle n’a pas dit et fait, qu’elle s’invente des problèmes, qu’elle interprète les événements, qu’elle déforme tout ! Et accessoirement, de lui rappeler ses traumatismes d’enfance qui donnent du sens à tout ce qui précède, renforçant encore la culpabilité de la victime. Il est difficilement concevable d’accepter que quelqu’un qui vous aime ou qui est censé vous aimer vous fasse subir une telle violence sans raison alors on apprend à intellectualiser la maltraitance en justifiant l’attitude de l’agresseur. (Ma mère par exemple, lorsque mon père était particulièrement violent, nous disait de ne pas "le provoquer" car "il avait de la tension"), c’est ainsi qu’insidieusement, nous allons chercher les motifs de la maltraitance, non pas dans le comportement du manipulateur, mais en nous ! Trop fragile, trop sensible, pas assez intéressante, pas intelligente, etc., toutes ces croyances étant renforcées par l’attitude incohérente du manipulateur qui consiste à nous embrouiller, à nous faire perdre tous nos repères, ne plus savoir ce qui est acceptable ou non, et qui détruit lentement et inexorablement notre estime de soi et oblige à vivre dans un sentiment permanent d’insécurité. Or l’angoisse est un frein puissant à la prise de conscience car elle génère des mécanismes psychologiques visant à nier la réalité pour la rendre plus supportable. C’est pourtant de cette prise de conscience que naît la liberté. Qu'est née ma liberté. La délivrance, comme dit ma sœur.