Un jour, des villageois francs aperçurent sur la mer un drakkar qui filait sur eux à toute allure. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, ceux qu’on appelait encore les Vikings accostèrent sur la rive, non pas armés de haches, comme on a voulu le faire croire (celles-ci n’étant utilisées que par les pauvres, et pour couper le bois), mais de longues épées à double tranchant à qui ils donnaient un petit nom mignon comme "Mord-la-jambe" ou "Garde d’or". Ces épées tout comme leurs autres armes (lance, javelot) étaient pour eux des armes d’Odin : elles touchaient toujours leur cible.
Ceci dit, leurs armes c’était pour le décorum on va dire, parce qu’avec leur 1m72 (au bas mot) grâce à un régime hyper-protéiné, contre 1,60 chez leurs adversaires, ils excellaient au corps à corps, et n’avaient pas franchement besoin de leurs épées.
Ainsi, pour la première fois, l’ennemi ne venait pas à pied mais de la terrifiante mer. Pour la première fois, les envahisseurs n’étaient pas des hommes avançant lentement vers leur destinée avec leur bétail, leurs enfants, leurs femmes et leurs lourds chariots, mais des bêtes féroces tapies dans les zones marécageuses attendant le meilleur moment pour semer le désespoir dans des attaques terrifiantes visant Dieu, ses serviteurs et ses maisons. Car les Vikings cultivaient l’art de se rendre positivement effrayants : non seulement ils étaient immenses, leur épaisse chevelure volant au vent, mais ils surgissaient par surprise, dans un silence absolu, et seulement alors, s’abattaient sur leurs proies avec des bruits terrifiants, agitant leur carquois, poussant des cris de bête, dont ils portaient d’ailleurs la peau sur leur beau corps nu (des peaux d’ours), atteignant ainsi un stade de folie furieuse à rouler des yeux et à mordre les boucliers de leurs adversaires, l’écume au bord des lèvres.
Les Francs, qui comme l’on sait était un peuple extrêmement civilisé, furent donc immédiatement complètement terrifiés. Faut dire qu’avec un souverain aussi profondément religieux que Charlemagne, comment auraient-ils pu être préparés à ce genre de truc de ouf ?
Charlemagne en effet, convaincu qu’il était que Dieu lui avait confié la tâche d’évangéliser tous les barbares de France et de Pétaouchnok, avait, avec ses Francs, décapité en 782 quatre mille cinq cent gens du nord qui ont dans les yeux le bleu qui manque à leur décor, et déporté 12000 de leurs femmes et enfants qui refusaient le baptême.
Comme nous le rapporte un témoin de l’époque : "Missoum par échangeoum culturoum, paroloum et époum" ("La Mission par échanges culturels, puis par la parole, puis par l’épée").
Cela avait super contrarié Godfred, le roi viking, et c’est comme ça que lui et sa horde avaient un jour décidé d’aller revoir ma Normandie.
Pendant que ces événements fâcheux avaient lieu dans cette partie de Gaule franque qu’on appelait encore la Basse-Neustrie, les femmes vikings, comme d’hab, se tapaient tout le boulot, enfin les concubines, parce que pour ce qui était de la femme en chef, elle avait une place privilégiée.
Que je vous narre la chose par le menu : en fait, pour nos ancêtres les Vikings, il n’y avait que deux saisons : l’été et l’hiver. L’été, on allait guerroyer et jouer à la bataille navale, mais quand l’hiver arrivait, que les récoltes étaient rentrées, le foin coupé, le poisson séché et la bière brassée, les hommes commençaient à se languir et c’est comme ça qu’ils eurent l’idée de se fiancer pour occuper leurs longues soirées d’hiver.
Le mariage avait lieu l’année suivante, enfin l’hiver suivant, pour les mêmes raisons qu’expliquées ci-dessus. Il y avait la cérémonie du bain de la mariée, avec les demoiselles d’honneur, après que les cheveux de la future eussent été relevés et attachés avec un ruban ou un bijou.
Ensuite, toute parée elle attachait à sa ceinture les clés de la maison et du coffre car c’est cette première épouse qui devenait la Húsfreyja : la Maîtresse de Maison.
Muni du marteau de Thor, le chef de clan présidait la cérémonie en appelant sur les époux le bonheur et la paix par une offrande à Freya, la déesse de l’Amour et de la Sensualité, et à son frère jumeau Freyr, le dieu de la Vie, du Plaisir et de la Fertilité.
S’ensuivait un joyeux banquet, convivial en diable, pendant lequel on se jurait de ne pas tenir compte des obscén propos qui seraient échangés une fois que l’on serait bien ivre. Des toasts étaient portés aux dieux et aux grands Ancêtres, et ces ripailles se reproduisaient hiver après hiver, puisque les Vikings avaient la bonne idée d’être polygames.
C’est pour ça que, comme les hommes s’en allaient tout l’été, la húsfreyja, contrairement à ses sœurs franques et romaines, jouissait d’un prestige évident, puisque c’était elle la chef dès que son époux avait le dos tourné. Elle faisait par exemple broder par les concubines les belles aubes blanches que les Francs refilaient aux Vikings qui acceptaient de se faire baptiser (yen a même qui se faisaient baptiser plusieurs fois pour en avoir plein et comme ça elles en faisaient des belles tenues de fête). Faut dire que yavait déjà tellement de dieux dans leur Panthéon, alors un de plus, un de moins .. bon ceci dit, ça a commencé à être vraiment intéressant pour eux lorsque, en échange du baptême, ils ont reçu non pas une vulgaire robe pour les femmes de leur harem mais le territoire qui allait devenir la Normandie, étymologiquement le pays (-ie) des gens du nord (Normand-).
Et c’est comme ça, mes chers amis,
que même de pure souche franque, on se retrouve
avec une soeur
grande et blonde..
NB : en réalité, le terme drakkar dont on désigne les navires vikings depuis le XIXe siècle viendrait du suédois drakar, lui-même de l’ancien nordique dreki qui signifie "dragon", donc en fait les figures sculptées à la proue et non pas les navires eux-mêmes. (S’il y a un ou une Suédois(e) dans la salle, je veux bien des précisions.)
Or donc, les termes appropriés pour désigner les bateaux normands seraient langship pour un navire de guerre, et kaupship pour un navire de commerce.